Un rapport d'expertise judiciaire ne peut-être opposé à un tiers que si ses conclusions sont corrobo
Actu Construction Immobilier publiée le 04/04 2025


A la suite de l’apparition de désordres, des maîtres de l’ouvrage ont obtenu en référé la mise en œuvre d’une expertise judiciaire à laquelle un constructeur, en liquidation judiciaire, et son assureur RC décennale n’ont pas été appelés.A la suite du dépôt du rapport d’expertise judiciaire, les maîtres de l’ouvrage ont engagé une procédure devant le Tribunal judiciaire de Laval, afin de solliciter l’indemnisation de leurs préjudices, notamment à l’encontre de l’assureur RC décennale du constructeur défaillant.
Par un arrêt rendu le 1er avril 2025, la Cour d’appel a débouté, le plus sérieusement du monde, les maîtres de l’ouvrage de leurs demandes dirigées à l’encontre de l’assureur, du fait du caractère inopposable du rapport d’expertise judiciaire versé aux débats.
Il sera rappelé que sans exclure la valeur probante d’un rapport d’expertise, établi contradictoirement ou non, la Cour de cassation n’en a pas moins posé comme condition que si un juge ne peut refuser de l’examiner, il doit être alors nécessairement corroboré par d’autres éléments de preuve également soumis à la discussion contradictoire des parties (Cass, ch. mixte, 28 septembre 2012, n°11-18.710 ; Cass, 2ème civ, 9 février 2023, n°21-15.784 ; Cass, 3ème civ, 21 janvier 2021, n°19-16.894 ; Cass, 3ème civ, 14 mai 2020, n°19-16.278 ; 19-16.279, Publié au bulletin ; Cass, 3ème civ, 7 septembre 2022, n°21-20.490 ; Cass, com, 5 octobre 2022, n°20-18.709 ; Cass, 2ème civ, 15 décembre 2022, n°21-17.957).
Le principe s’applique qu’il s’agisse d’un rapport d’expertise amiable, établi contradictoirement ou non, ou d’un rapport d’expertise judiciaire à laquelle ni l’assuré, ni l’assureur, n’auraient été appelés.
A cet égard, il sera toutefois rappelé que la seule mise en cause de l’assuré permet d’opposer à son assureur un rapport d’expertise judiciaire, sauf à justifier de l’existence d’une fraude (Cass, 3ème civ, 9 juin 2004, n°03-11.480).
Le rapport d’expertise judiciaire qui est opposable à l’assuré, l’est également de droit à l’assureur.
En dehors de cette circonstance particulière, le principe sus énoncé procède de l’application des dispositions des articles 9, 15, 16 et 132 du code de procédure civile, et de l’article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
S’agissant d’un rapport d’expertise amiable, s’il peut constituer une preuve judiciairement admissible, dès lors qu’il est soumis au débat contradictoire, il reste qu’il doit être impérativement corroboré par d’autres éléments de preuve également soumis à la contradiction des parties, puisqu’à défaut le rejet des demandes doit être prononcé (Cass, 2ème civ, 13 septembre 2018, n°17-20.099 : « Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui s’est fondée exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties, peu important qu’elle l’ait été en présence des parties, a violé le texte susvisé. »)
S’agissant d’un rapport d’expertise judiciaire, l’absence de l’assuré et de l’assureur aux opérations d’expertise judiciaire, implique de la même façon que ses conclusions soient corroborées par des éléments extérieurs.
C’est ce qui a encore été rappelé par un arrêt de la Cour d’appel d’Angers en date du 1er avril 2025 (Cour d’appel d’Angers, Chambre A civile, n°21/00845), en mettant hors de cause un assureur au motif que le rapport d’expertise judiciaire, qui était versé aux débats, ne pouvait lui être opposé en l’absence de mise en cause de l’assuré et de l’assureur, et de l’absence de tout élément probatoire extérieur.
Il sera rappelé que par deux arrêts rendus les 16 janvier 2025 (Cass, 3ème civ, 16 janvier 2025, n°23-15.877) et 30 janvier 2025 (Cass, 3ème civ, 30 janvier 2025, n°23-15.414), la Cour de cassation a précisé la nature du complément de preuve qui peut être apporté à un rapport d’expertise qui, étant versé aux débats, ne pourrait pas se suffire à lui-même.
Le complément de preuve peut parfaitement résulter d’un rapport d’expertise privé venant corroborer un premier rapport d’expertise amiable ou judiciaire, ce qui vaut également en présence de deux rapports d’expertise privés établis non contradictoirement.
Dans l’arrêt du 16 janvier 2025, la Cour de cassation indique ainsi que « Ayant, par ces seuls motifs, fait ressortir que les deux rapports d’expertise amiable établis par deux experts distincts à la demande du maître de l’ouvrage se corroboraient l’un l’autre et que le chiffrage de ces travaux proposé par l’un des experts était en adéquation avec celui du devis établi cinq ans auparavant par un entrepreneur, elle a souverainement déduit, motivant sa décision, sans violer le principe de la contradiction, ni être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, que le coût des travaux de reprise des désordres devait être fixé à la somme de 70 000 euros HT, à laquelle s’ajoutait la taxe sur la valeur ajoutée. »
Dans l’arrêt du 30 janvier 2025, la Cour de cassation indique que : « Ces deux rapports d’expertise privée se corroborant l’un l’autre tant sur la persistance du désordre après l’expertise judiciaire initiale que sur l’existence d’un lien entre l’humidité récurrente et l’évacuation des eaux pluviales situées dans l’angle du toit-terrasse, sur laquelle la société CERTBAT était intervenue, la cour d’appel a pu en déduire que celle-ci avait engagé sa responsabilité décennale. »
Dans le cadre de cette affaire, tout en constatant qu’un expert judiciaire, dans le cadre de deux rapports d’expertise successifs, avait objectivé des traces d’anciennes infiltrations sans pour autant pouvoir les imputer à un constructeur précis, il s’était néanmoins référé à deux rapports d’expertise amiables qui lui avaient été produits et qui avaient été soumis, dans le cadre des opérations d’expertise judiciaire, à la discussion contradictoire des parties.
La solution n’est pas nouvelle, ayant déjà été jugé que le complément de preuve pouvait parfaitement résulter d’un rapport d’expertise privé venant corroborer un premier rapport d’expertise amiable (Cass, 1ère civ, 9 septembre 2020, n°19-13.755, Publié au bulletin), quand bien même les deux rapports d’expertise privés auraient-ils été établis non-contradictoirement (Cass, 3ème civ, 15 novembre 2018, n°16-26.172).
De façon plus surprenante, on rappellera à toute fin un arrêt rendu le 14 juin 2023 (Cass, 1ère civ, 14 juin 2023, n°21-24.996), ayant considéré qu’à titre de complément de preuve les indications figurant dans un rapport d’expertise amiable non versé aux débats pouvaient être retenues, dès lors que les pièces communiquées contradictoirement établissaient son existence et dont les conclusions étaient convergentes avec un rapport d’expertise amiable quant à lui communiqué :
« Dès lors que la cour d’appel s’est fondée non seulement sur le rapport de l’expert missionné par monsieur Z mais aussi sur des pièces établissant qu’une expertise dont les conclusions étaient convergentes avait également été réalisée à la demande de la société GROUPAMA, même si celle-ci s’était abstenue de la produire, le moyen manque en fait. »
En tout état de cause, la preuve complémentaire ne peut-être trouvée dans les annexes d’un rapport d’expertise judiciaire ou amiable, la Cour d’appel d’Angers, dans son arrêt en date du 1er avril 2025 précisant à juste titre que :
« Si le maître d’ouvrage soutient que les annexes du rapport constituent en elles-mêmes autant de pièces complémentaires, il n’évoque spécialement que le rapport d’inspection vidéo figurant en annexe n°12 qui met en évidence le caractère insatisfaisant des réseaux enterrés réalisés par l’entrepreneur. Force est de constater que ce rapport technique a été obtenu dans le cadre des investigations sollicitées par l’expert judiciaire pour mener à bien sa mission. Cette pièce ne saurait dès lors être qualifiée d’extérieure et complémentaire au rapport d’expertise dont elle est partie intégrante. »
(…)
« Aucune des autres pièces produites aux débats n’évoque les désordres affectant la terrasse et les réseaux enterrés et qui serait ainsi de nature à corroborer les constatations et conclusions du rapport d’expertise judiciaire. »
(…)
« Du tout, il résulte que la mauvaise réalisation alléguée des travaux confiés à l’entrepreneur en charge du gros-œuvre repose uniquement sur le rapport d’expertise judiciaire qui, n’étant pas contradictoire à l’égard de ce dernier et de son assureur, ne peut constituer le seul élément de preuve pour fonder une éventuelle condamnation.
Cour d’appel d’Angers, Chambre A civile, 1er avril 2025, n°21/00845
Cet article n'engage que son auteur.
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