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Autorité de la chose jugée et faits nouveaux invoqués

Actu publiée le 17/01 2014

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A priori le mécanisme est simple : lorsque deux ou plusieurs parties sont en conflit elles peuvent porter leur litige devant un Tribunal.

Quand un procès peut-il être considéré comme terminé ?

Très schématiquement, on dira que les uns et les autres ont le droit de faire entendre leur cause :

  • une première fois en première instance, jusqu'à ce qu'un jugement soit rendu.
  • une deuxième fois en appel si le jugement, ce qui est fréquent, n'est pas accepté par toutes les parties.

Exceptionnellement, la Cour de Cassation peut casser (c'est-à-dire invalider), un arrêt ou un jugement et faire rejuger une dernière et ultime fois par une autre Cour d'Appel.

Cette apparente simplicité du mécanisme se retrouve d'ailleurs dans le fait que la loi ne comporte que deux "petits" articles à ce sujet :

  • Article 480 du Code de Procédure Civile : "Le jugement (...) a dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche".
  • Article 1351 du Code Civil : "L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité". Hélas tout se complique en pratique car les plaideurs, et c'est bien naturel, essayent toujours de trouver un moyen de revenir sur ce qui a été jugé... Quand cela ne les arrange pas bien sûr !

L'astuce la plus classique consiste à jouer sur les conditions posées par l'article 1351 du Code Civil (un auteur a pu qualifier ces conditions de "brumeuses" : "L'étendue de la chose jugée au regard de l'objet et de la cause de la demande" par Vincent De La Porte, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, publiée au Bulletin d'information de la Cour de Cassation) : en demandant quelque chose de différent de ce qui avait été précédemment demandé ou en invoquant un fondement juridique différent. Longtemps, en fait pendant presque deux siècles, ce petit jeu a prospéré. Un procès qui semblait terminé pouvait ainsi renaître de ses cendres.

En voici quelques exemples :

Une personne âgée vend sa maison en viager. Après son décès sa famille tente de faire annuler la vente en soutenant que cette personne était atteinte d'insanité d'esprit. La famille perd son procès et l'acquéreur se croit protégé. C'est alors que la famille engage une nouvelle action en invoquant cette fois-ci un défaut de prix réel et sérieux : son action sera déclarée recevable (Cass. Ass. Plén. 3 juin 1994 JCP 94, II 22309).
 
Un propriétaire d'un local commercial demande en justice la révision du loyer mais sa demande est écartée. Il engage une nouvelle action en soutenant que son locataire a commis des fautes (sous-location par exemple) qui justifie la résiliation. Son action est déclarée recevable (requête 8 novembre 37 DH 1937 page 581).

La justice a cependant considéré que ces procès qui pouvaient s'ouvrir à l'infini comme des poupées russes ou des boîtes de pandore contribuaient à l'engorgement des prétoires.

En 2006 la Cour de Cassation a exprimé assez brutalement le principe suivant :

  • "il incombe aux demandeurs de présenter dès l'instance relative à la première demande, l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci" (Cass. Ass. Plén. 7 juillet 2006 n° 04 - 10. 672).
  • La plus haute juridiction de notre pays a par la suite élaboré une conception de l'autorité de la chose jugée qui pourrait se résumer ainsi : une seule action pour la même affaire.

Voici deux exemples de la sévérité de la Cour de Cassation :

Un médecin auquel on reproche d'être responsable de la mort d'un de ses patients fait l'objet d'un procès pour homicide involontaire devant un Tribunal Correctionnel : la famille du défunt se constitue partie civile et demandes des dommages-intérêts. Le Tribunal correctionnel relaxe le médecin et déboute la famille. Tout naturellement la famille engage alors une action civile contre le médecin au titre non plus de sa responsabilité pénale mais de sa responsabilité contractuelle. La Cour de Cassation a considéré que cette action se heurtait à l'autorité de la chose jugée (Cass. 3ème civile 13 février 2008 n° 06 - 22. 093). La famille a perdu tout recours.
 
Un propriétaire d'un bien immobilier le vend, mais refuse ensuite de signer la vente avec son acquéreur pour différents motifs liés à la consistance du bien. L'acquéreur lui fait un procès et obtient de la justice la réalisation forcée de la vente. C'est alors au tour du vendeur d'engager une action dans laquelle il se plaint d'être victime d'une lésion (c'est-à-dire d'un prix insuffisant) son action est déclarée irrecevable car la Cour de Cassation lui reproche de ne pas avoir formé cette demande lors du premier procès (Cass. 3ème civile 13 février 2008 n° 06 - 22. 093).
On a appelé le principe dégagé par la Cour de Cassation comme étant le principe de concentration des moyens et des demandes.
Mais, la doctrine et la pratique ont dénoncé cet excès de rigueur qui finalement limitait l'accès aux juges et pouvait avoir des conséquences dramatiques.

Un peu plus tard, un arrêt du 13 mars 2009 (Gaz. Pal. 29/30 avril 2009 page 14) a rappelé que l'autorité de la chose jugée avait lieu "à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif".

Deux arrêts récents montrent que le chemin suivi par la Cour de Cassation peut continuer d'être extrêmement déroutant pour les plaideurs :

La deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation a rendu le 17 octobre 2013 un arrêt qui semble marquer un assouplissement de la notion de concentration des moyens et des demandes :

Un père ouvre un compte en banque au nom de chacun de ses trois enfants. Ces derniers pour diverses raisons vont demander à la justice d'annuler ces conventions d'ouvertures de comptes et que la banque soit condamnée à leur restituer le capital placé : ils obtiennent gain de cause. Ce n'est que plus tard que la banque engage à son tour un procès pour obtenir la restitution des intérêts qui avaient été versés au titre des trois ouvertures de comptes. Fort des principes de concentration des moyens et des demandes évoqués ci-dessus et de l'autorité de la chose jugée, les enfants demandent que la banque soit déclarée irrecevable.

La Cour de Cassation considère que l'action en annulation des conventions de comptes n'avait pas le même objet que l'action en restitution des intérêts et que donc la vente n'était pas tenue de présenter sa demande lors de l'instance initiale.

On voit ici que la Cour de Cassation juge exactement le contraire que dans certaines autres affaires (Cass. 2ème civile 17 octobre 2013 n° 12 - 26. 178).

La première Chambre Civile de la Cour de Cassation de son côté semble maintenir une certaine sévérité dans un arrêt du 4 décembre 2013.
L'affaire est la suivante : deux personnes sont propriétaires en indivision d'un immeuble saisi par l'un des indivisaires, la justice a ordonné le partage en nature. Le Notaire convoque les deux indivisaires pour procéder à ce partage en nature mais l'autre indivisaire ne se présente pas, et le notaire est obligé de dresser un procès-verbal de carence. Celui qui avait engagé le procès demande alors à la justice d'ordonner la vente de l'ensemble de l'immeuble en soutenant qu'il ne peut pas parvenir au partage en nature.

Pour la Cour de Cassation cette demande n'est pas recevable car le refus d'un des indivisaires d'exécuter le jugement devenu irrévocable, ne pouvait constituer un fait nouveau privant cette décision de l'autorité de la chose jugée.

Quelle conclusion tirer de tout cela ?

Mieux vaut sans doute se montrer un plaideur avisé et prudent : les parties (et bien sûr leurs Avocats ! ) devront s'efforcer au cours d'un seul et même procès (en première instance ou en appel) de présenter toutes leurs demandes sur tous les fondements juridiques possibles : à titre principal, à titre subsidiaire, à titre infiniment subsidiaire.
Ainsi pour en revenir à l'arrêt du 4 décembre 2013, l'indivisaire qui s'est plaint ensuite de l'inaction de son co-indivisaire qui refusait le partage en nature ordonné par la justice, aurait peut-être dû envisager cette hypothèse et prévoir de demander à la justice de dire que, faute pour l'autre indivisaire de consentir par-devant notaire au partage en nature ordonné, la vente sur licitation serait ordonnée.
On notera que le législateur s'en est mêlé, notamment dans le cadre de la réforme de la procédure d'appel et on n'aura donc plus droit à aucune séance de rattrapage.

Mal conseillé, étourdi, brouillon ou … rusé !, le plaideur du 21ème siècle sera souvent déclaré irrecevable en ses demandes nouvelles.
On signalera (mais cela fera l'objet d'un prochaine article) que les tribunaux appliquent en outre de plus en plus un principe nouveau qui nous vient d'outre-manche: le principe prétorien de l'ESTOPPEL : c'est l'interdiction pour un plaideur de se contredire au profit de son adversaire et l'obligation pour lui d'observer une certaine loyauté dans le déroulement du procès.

On se souvient alors de cette fable de LA FONTAINE, dans "l'huitre et les plaideurs" :

"Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles ;
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles."

Média réf. 17 (1/1): Autorité de la chose jugée et faits nouveaux invoqués (© Paty Wingrove - Fotolia.com)